Leconte de Lisle - Le soir d'une bataille

Publié le 15 Septembre 2011

                                 



Tels que la haute mer contre les durs rivages,

A la grande tuerie ils se sont tous rués,

Ivres et haletants, par les boulets troués,

En d'épais tourbillons plein de clameurs sauvages.


Sous un large soleil d'été, de l'aube au soir,

Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes,

Longs murs d'hommes, ils ont poussés leurs sombres lignes

Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir.


Puis ils se sont liés en étreintes féroces,

Le souffle au souffle uni, l'oeil de haine chargé.

Le fer d'un sang fiévreux à l'aise s'est gorgé;

La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.


Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,

Les voici, maintenant, blêmes, muets farouches,

Les poings fermés serrant les dents, et les yeux louches,

Dans la mort furieuse étendus par milliers.


La pluie avec lenteur lavant leurs pâles faces,

Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux;

Et par la morne plaine ou tourne un vol d'oiseaux

Le ciel d'un soir sinistre estompe au loin leurs masses


Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés

Sur le sol bossué de tant de chair humaine,

Aux dernières lueurs du jour on voit à peine

Se tordre vaguement des corps entrelacés;


Et là-bas, au milieu de ce massacre immense,

Dressant son cou roidi percé de coups de feu,

Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu

Que la nuit fait courir à travers le silence.


O boucherie! o soif du meurtre! acharnement

Horrible! odeur des morts qui suffoquent et navres!

Soyez maudits devant ces cent mille cadavres

Et la stupide horreur de cet égorgement.


Mais, sous l'ardent soleil ou sur la plaine noire,

Si, heurtant de leur coeur la gueule du canon,

Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom,

Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire!



   

 

Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et meurt le 17 juillet 1894 à Voisins, est un poète français.

 

Leconte de Lisle passa son enfance à l'île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça à l'action politique et se consacra entièrement à la poésie.


Son œuvre est dominée par trois recueils de poésie, les Poèmes antiques (1852), les Poèmes barbares (1862) et les Poèmes tragiques (1884), ainsi que par ses traductions d’auteurs anciens.

Il est considéré comme le chef de file du mouvement parnassien, autant par l’autorité que lui a conférée son œuvre poétique propre que par des préfaces dans lesquelles il a exprimé un certain nombre de principes auxquels se sont ralliés les poètes d’une génération – entre la période romantique et le symbolisme – regroupés sous le vocable de parnassiens à partir de 1866.

 

En 1886, neuf ans après une première candidature infructueuse à l’Académie française, Leconte de Lisle fut élu, succédant à Victor Hugo. Et ce fut une séance mémorable que celle du 31 mars 1887, où Leconte de Lisle fut reçu par Alexandre Dumas fils.

Rédigé par rafael

Publié dans #NATURALISME et IMPRESSIONISME

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