Foster - British Museum
Publié le 22 Mai 2011
"Le fronton et les colonnades se détachent du reste de l'édifice comme s'ils étaient éclairés par des projecteurs. Le portique sud, propre comme un sou neuf, donne sur la «grande cour» du British Museum. Des millions de visiteurs l'emprunteront à partir d'aujourd'hui pour admirer l'une des plus belles réalisations architecturales de Londres. Une immense salle des pas perdus, entourée de trésors et enfermée dans une châsse de verre et d'acier. Une serre géante abritant les cultures du monde.
Le musée, qui se targue d'être le plus fréquenté du monde (même si sa gratuité rend le comptage aléatoire), respire à nouveau après un siècle et demi d'asphyxie. Ce n'était qu'un long couloir, austère et poussiéreux, déployé sur quatre côtés. La foule s'y pressait comme dans le tube, le métro londonien. Grâce à l'architecte Norman Foster, le bâtiment néoclassique possède enfin un espace à la mesure des joyaux qu'il contient. Mais une pierre un peu trop blanche a failli gâcher la fête (lire ci-dessous).
Mécanique des fluides. La grande cour est au British Museum ce que la pyramide est au Louvre, un monument d'acier et de verre à la gloire de la culture, mais aussi une vaste gare de triage qui régule le trafic à travers l'édifice. «Cet espace central permet d'accéder aux galeries latérales ou de changer de niveau», a expliqué Norman Foster. Des passerelles mènent au premier étage. Les quatre portiques ouvrent sur les salles les plus célèbres. C'est le musée le plus encombré du monde. Chaque année, près de 6 millions de visiteurs se bousculent à travers ses corridors sans fin. Jusqu'à hier, les galeries servaient autant de passage que de lieu d'exposition. Les marbres du Parthénon succédaient à la pierre de Rosette et aux lions de Nimrud selon un itinéraire obligé. Pas de raccourci possible dans cet immense quadrilatère.
«Ce lieu, conçu à l'origine pour accueillir 100 000 personnes, était devenu totalement inadéquat», souligne son directeur, Robert Anderson. En 1850, l'architecte Robert Smirke avait bien aménagé un jardin au coeur de l'ouvrage. Mais, sept ans plus tard, son frère Sydney avait construit au milieu du terre-plein la fameuse salle de lecture circulaire. La rotonde et son dôme devaient abriter la British Library, la bibliothèque nationale, mais le site allait vite devenir trop petit. Après la guerre, la cour avait disparu sous le béton et des kilomètres de rayonnages. Le musée aurait croulé sous la paperasse sans le transfert, en 1998, de ses 18 millions de volumes vers la nouvelle bibliothèque Saint Pancras. Le déménagement terminé, la cour intérieure pouvait renaître et relier à nouveau chacun des fils du bâtiment. Une mécanique des fluides paisible et régulière remplace le chaos.
La verrière se développe par vagues successives. Les lignes de fuite tracées par les armatures métalliques impriment un mouvement qui entraîne le visiteur vers les salles voisines. Toile d'araignée. Norman Foster, ce roi de la transparence, créateur, entre autres, du nouveau Reichstag, a tissé entre les murs une gigantesque toile d'araignée. Un filtre sur chaque carreau absorbe une partie de la lumière. Vue du ciel, la toiture prend une couleur verte et semble onduler sous l'effet du vent. Vue de l'intérieur, elle danse avec les nuages. La salle de lecture est toujours là, avec ses tables disposées en cercles concentriques. L'architecte n'a pas voulu supprimer ce lieu mythique, fréquenté assidûment par Marx, Dickens, Shaw ou encore Mortimer, le héros d'Edgar P. Jacobs. Concurrence.
La bibliothèque sera accessible à tous et ne contiendra que des livres liés à l'activité du musée, ainsi qu'une énorme banque de données, Compass, consultable sur une cinquantaine de terminaux. La rotonde, doublée d'un escalier extérieur, évoque une tour de Babel. Elle héberge sur ses flancs des cafés, des restaurants et des librairies. La cour, grande comme «deux terrains de football», existe indépendamment du musée et ne contient qu'une poignée de statues décoratives. Elle restera ouverte après la fermeture des salles d'exposition et accueillera spectacles et conférences. Deux auditoriums ont été aménagés en sous-sol. «Nous souhaitions que cela reste un espace public», déclare Spencer de Grey, l'associé de Norman Foster. Les architectes voulaient reconstituer «la place d'une petite cité», où la population se retrouve, le soir venu. Avec ce British Museum rénové, un an après l'ouverture de la Tate Modern, Londres entend s'imposer comme la capitale des expos et creuser son avance sur Paris.
La concurrence est aussi très rude pour les autres musées britanniques. La nouvelle Tate a fait perdre 100 000 visiteurs rien qu'à la National Gallery, selon une enquête récente du Sunday Telegraph. «Il faut s'attendre à une seconde décimation, prévient le Dr Simon Thurley, directeur du musée de Londres, dans le même journal. La Tate Modern nous avait déjà pris nos plus jeunes visiteurs. Nous allons maintenant perdre notre clientèle familiale, au profit du British Museum.»."
Libération, Culture 07/12/2000
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