L'Art Nouveau
Publié le 29 Août 2013
En 1895, le collectionneur et marchand français d’origine allemande Samuel Bing ouvre à Paris un magasin d'objets d'art et le baptise « L'Art nouveau », reprenant ainsi l'expression créée par la revue belge l'Art moderne, fondée en 1881.
Ce terme d’« Art nouveau » sera utilisé pour qualifier les créations des architectes et décorateurs avant-gardistes de la fin du XIXe et des premières années du XXe. Le mouvement se manifestera à une échelle internationale, s’étendant de Londres à Vienne et à Chicago.
L’emploi de lignes sinueuses, de courbes et de formes organiques représentera l’une de ses caractéristiques majeures.
L'expression « Art nouveau » consacre un phénomène exprimé sous un grand nombre d'appellations, et, parfois, de sobriquets : en Autriche et en Allemagne, le Jugendstil (« style des jeunes ») succède au Neustil (« style nouveau »), tandis que le Sezessionstil (« style de la Sécession ») reste cantonné à Vienne. Les États-Unis connaissent le style Tiffany, la Grande-Bretagne le mouvement Arts and Crafts, les Pays-Bas le Nieuwe Kunst et la Belgique le mouvement ou ligne belge et le style Horta. En Espagne, on parle de Arte joven ou de modernismo, en Italie de Stile floreale ou de Stile Liberty, de style 1900, nouille, métro, voire rastaquouère en France.
Pornokrates de Félicien Rops, jean Delville l'Ecole de Platon détail, l'Ange de la mort de Carlos Schwabe
L'Art nouveau a pour ambition de fonder un style qui ne doive rien au passé et qui puisse imprégner tous les niveaux de l'activité quotidienne, de l'architecture à la mode vestimentaire, dans la rue comme dans les intérieurs. Le but final en serait l'œuvre totale (appelée Gesamtkunstwerk par les Allemands), où se résumeraient les aspirations à la modernité d'une société en pleine transformation. Mais, au lieu de donner le pas à l'ingénieur – ou au designer – sur l'artiste, comme le fera le XXe, l'Art nouveau pense que l'artiste seul est en mesure de donner au monde moderne un visage harmonieux.
Gaudi, Barcelone, détails d'architecture
Le regain d'intérêt pour la période médiévale apparu dans la seconde moitié du XIXe, tant en Europe qu'aux États-Unis, a une incidence certaine sur l'émergence de l'Art nouveau : ainsi, à l'exemple des sculpteurs de chapiteaux des cathédrales médiévales, certains artistes opèrent un retour à l'observation et à l'imitation de la nature tout en produisant de nouvelles formes, dans de nouveaux matériaux.
L'architecte et théoricien français Eugène Viollet-le-Duc, dans ses Entretiens sur l'architecture, (1863-1872) stigmatise la platitude des décors néoclassiques, qui ne correspondent plus aux réalités de l'époque.
En Angleterre, William Morris, disciple de John Ruskin, ouvre la voie au renouveau stylistique en s'insurgeant – à l'instar des préraphaélites, auxquels il se lie – contre le manque d'imagination de ses contemporains. En 1861, il ouvre à Londres le premier magasin consacré à la maison et à sa décoration. L'objet d'art y est placé en harmonie avec son environnement.
Hokusai
Avec l'ouverture du Japon aux étrangers, vers 1860, les Occidentaux se passionnent pour les objets extrême-orientaux, dont ils apprécient la sophistication des formes et la richesse des matériaux. Le japonisme, comme les autres courants, régénère l'inspiration des créateurs.
Blossfeldt, Photos de plantes
Désireux de donner de nouveaux fondements à l'art, les artistes de la fin du XIXe multiplient textes et interventions et se dotent de nombreuses institutions : revues, expositions, salons, groupes et associations. Le peintre et affichiste Eugène Grasset publie notamment un recueil de botanique appliquée à l'art : la Plante et ses applications ornementales. Le peintre Henry Van de Velde publie en 1895 à Bruxelles ses Aperçus en vue d'une synthèse de l'art, tandis que l'architecte belge Victor Horta prône un renouvellement des motifs décoratifs inspiré directement de la nature. Il écrit : « Préfère la tige et le bouton à la fleur éclose. » La plante gonflée de sève, à la tige sinueuse, séduit parce qu'elle devient symbole de ce printemps de l'art, de cette renaissance esthétique. Ver Sacrum (« le Printemps sacré »), revue autrichienne de la Sezession (mouvement de la « Sécession »), le révèle bien par le choix de son titre.
Bijoux de Lalique, Affiche de Mucha
Le renouveau de l'art passe par la refonte de la hiérarchie artistique. La distinction entre arts majeurs et arts mineurs est abolie : l'artiste, soucieux d'implanter l'harmonie dans la vie quotidienne, ne conçoit plus l'objet isolé de son environnement. Désormais, l'art est dans tout, et il découle de l'utile. Cette liaison du beau et de l'utile apparaît dans un contexte de révolution industrielle: la machine inquiète et séduit à la fois, car elle déshumanise le travail tout en produisant pour le plus grand nombre. L'art est offert à tous et s'attache à tous les domaines : William Morris, assez proche des utopistes, ne dessine-t-il pas des papiers peints ou des objets destinés à la production industrielle ? Lutter contre l'académisme, c'est aussi lutter contre l'élitisme, car, selon Van de Velde, « ce dont seule une minorité profite est à peu près inutile ». Le retour à l'observation non conventionnelle de la nature, l'abolition de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs concourent à ouvrir l'art au plus grand nombre. L'artiste devient militant, et se trouve investi d'un rôle essentiel : faire entrer la beauté dans la vie.
Vases de Tiffany et Gallé
De nouveaux buts et de nouvelles sources d'inspiration appellent de nouveaux matériaux : tandis que les motifs floraux sont reproduits à l'infini sur les tissus, papiers peints, reliures, affiches, meubles, et que l'image de la femme, tant bénéfique que maléfique, se trouve à la fois exaltée et banalisée comme un simple motif décoratif, l'architecture voit s'imposer l'utilisation du fer, du verre, de la céramique. Dévoilée, la structure métallique de l'édifice devient aussi ornement. L'architecte français Hector Guimard recouvre nombre de ses façades de fonte travaillée avec liberté : la matière semble saisie en pleine métamorphose. La virtuosité des maîtres verriers – Paul Daum, Émile Gallé, René Lalique, Louis Comfort Tiffany – n'a d'égale que leur inventivité. Adapter le matériau à la modernité du temps (utilisation du béton) ou révéler celui qu'on négligeait (adoption de la brique, économique et décorative) devient une exigence essentielle.
Eugène Vallin, salle à manger à Nancy.
Pour réintroduire l'harmonie dans le décor de la vie quotidienne, les architectes de l'Art nouveau prévoient jusqu'aux plus petits détails du mobilier et de l'aménagement intérieur.
L’emploi de lignes courbes et d’éléments végétaux et floraux est généralisé mais Glasgow et Vienne conservent à la ligne droite et aux surfaces nues une fonction particulière (Charles Rennie Mackintosh, Josef Hoffmann). La production de mobilier est partout florissante. La céramique, où Gauguin a pu faire figure de pionnier, est illustrée par de nombreux artisans remarquables comme le Danois Thorvald Bindesbøll, le Néerlandais Theodoor Colenbrander, auxquels il convient de joindre le Français Henri Cros, spécialiste de la pâte de verre. La verrerie, le bijou connaissent un véritable âge d’or. Si les broderies les plus déliées sont dues au sculpteur suisse Hermann Obrist, la Grande-Bretagne est la productrice des plus beaux tissus imprimés, les chintz d'Arthur H. Mackmurdo et de Charles F. Annesley Voysey.
Illustration de Beardsley, Affiches de Mucha
Les répercussions de l'Art nouveau sur l'art du livre constituent un de ses aspects les plus passionnants. Non seulement l'époque abonde en livres illustrés remarquables, mais c'est la conception même du rapport texte-illustration qui se voit bouleversée, tandis qu'apparaissent de nouveaux caractères typographiques. Les plus grands illustrateurs du mouvement sont, en Grande-Bretagne, Walter Crane, Aubrey Beardsley, Frank Brangwyn, Edmund Dulac et Arthur Rackham, en Belgique Georges Lemmen, en France Eugène Grasset, en Allemagne Peter Behrens, Melchior Lechter, Thomas Theodor Heine, en Italie Alberto Martini, en Russie Ivan Bilibine. À la suite de William Morris, qui crée en 1890 son célèbre Golden Type, Georges Auriol et Grasset à Paris, Koloman Moser à Vienne et surtout Otto Eckmann à Munich vont révolutionner la typographie. La reliure est surtout représentée par le Néerlandais Carel Adolph Lion Cachet et le Nancéien René Wiener. L'affiche Art nouveau, de son côté, est d'une somptuosité et d'une efficacité rarement atteintes depuis, avec ses maîtres incontestés, Mucha et Bradley, et aussi Beardsley, Grasset, G. de Feure, Moser… Enfin, c'est à l'Art nouveau qu'un genre à ses débuts, la bande dessinée, doit son chef-d'œuvre : Little Nemo in Slumberland, de l'Américain Winsor McCay (1889-1934).
Le Baiser de Klimt, Judith de Franz von Stuck et Elle de Gustav Adolf Mossa
Dans une large mesure, la peinture de l'Art nouveau et la peinture symboliste se confondent. En effet, l'une et l'autre reçoivent l'héritage préraphaélite et ses thèmes de prédilection, l'exaltation (maléfique ou bénéfique) de la femme en premier lieu. Mais si la sensibilité est la même, une différence très nette s'établit au niveau de l'expression, par exemple lorsqu'on compare l'Autrichien Gustav Klimt au Français Gustave Moreau. Aux réflexions sur les mythes du second, les compositions du premier s'opposent comme un cri à une méditation. Gauguin et Munch exceptés, qui le débordent en tous sens, les peintres qui incarnent le mieux l'Art nouveau sont : en Angleterre, Walter Crane ; en Suisse, Ferdinand Hodler ; en Belgique, Fernand Khnopff ; en Autriche, Gustav Klimt ; en Italie, Giovanni Segantini ; aux Pays-Bas, Johan Thorn Prikker et Jan Toorop. Dans le domaine de la sculpture les figures majeures sont Gaudí et Hermann Obrist.
Gaudi à Barcelone
Si l'on ne retenait que l'influence de Morris ou de Van de Velde, peintres venus à l'architecture, celle-ci pourrait paraître sous la dépendance des arts plastiques. Mais, tout en préférant pour son décor, comme les arts appliqués, les formes végétales à la répétition des éléments classiques ou aux pastiches « de style », l'architecture profitera davantage de la volonté d'ouverture aux réalités contemporaines, qui est l'un des points de la « doctrine » de l'Art nouveau ; elle fera siennes les conclusions des « rationalistes » du XIXe, utilisant les techniques récemment mises au point pour le fer, le verre, etc. En rompant délibérément avec un art qui ne disposait plus que de formules épuisées, l'Art nouveau a préparé la révolution architecturale des « années 1920 » ; s'il ne la réalisa pas lui-même, c'est parce que l'emploi du béton armé devait remettre tout en question. Gaudi restera l'une des figures majeurs de ce mouvement.
Dès son apparition, l'Art nouveau déclenche des polémiques dans un contexte artistique figé par le néoclassicisme. « Laissez tomber les anciennes traductions des vieux styles », clament les créateurs de l'Art nouveau. Le propos porte autant sur l'art que sur la société, et il explique sans doute la violence des réactions des contemporains. Le caractère international de l'Art nouveau inquiète, et ses liens avec le socialisme effraient. Cet « internationalisme » explique l'ampleur et la soudaineté du succès du mouvement, mais cela fut aussi un de ses points faibles.
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Source: http://www.larousse.fr
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