Elie Faure - Praxitèle

Publié le 24 Octobre 2014

Praxitèle -   Le Satyre au repos des musées du Capitole, copie romaine de 130 ap. J.-C. environ

Praxitèle -   Le Satyre au repos des musées du Capitole, copie romaine de 130 ap. J.-C. environ

Praxitèle -  Hermès portant Dionysos enfant, l'une des statues les plus problématiques attribuées à Praxitèle, musée archéologique d'Olympie

Praxitèle - Hermès portant Dionysos enfant, l'une des statues les plus problématiques attribuées à Praxitèle, musée archéologique d'Olympie

" Praxitèle attire l’esprit vers l’épiderme des statues. Comme il le voit flotter sur leur visage en sourire imprécis, en inquiétude vague, en ombre lumineuse, il l’y fixe, et, du même coup, brise cette unité qui donnait aux formes du grand siècle leur rayonnement contenu. Pour exprimer la vie intérieure, il cherche à l’extérioriser. Et ce n’est plus comme une aurore, c’est comme un soir que l’âme monte des profondeurs pour se répandre à la surface. Praxitèle est l’Euripide de la sculpture. Sa mesure, son élégance, son esprit, la subtilité, la verve, le charme de son analyse n’arrivent pas à nous cacher qu’il doute de sa force et qu’il regrette, au fond, d’avoir perdu l’ivresse sainte dont il rit. Sous ses doigts, le plan s’amollit, hésite, laisse fuir l’énergie spirituelle que Phidias enfermait en lui. L’expression de la forme, distraite et comme un peu lassée, n’est plus le jeu des forces intérieures, mais celui des lueurs et des ombres ondulant sur son écorce. L’âme veut échapper à l’étreinte du marbre. On le voit bien, à ces grands fronts rêveurs sous l’ondulation des cheveux, à ces yeux reculant dans le mystère des orbites, à cette bouche sensuelle et vibrante, à ce charme imprécis de la face inclinée. Cela ne veut plus dire intelligence, cela veut dire sentiment. L’art en meurt, mais une vie nouvelle en germe qui, bien plus tard, et sous d’autres cieux, refleurira. Au moment où le langage humain faiblit avec l’enthousiasme, l’œuvre de Praxitèle affirme non l’apparition mais la survivance de l’esprit, et comme le déplacement de sa fonction qui cherchera de très longs siècles son organe, et finira par le trouver.

Son art trahit l’apparition d’une sorte de sensualisme cérébral qu’on voit apparaître à la même heure chez tous ses contemporains, à qui les frises du temple de la Victoire aptère et le chapiteau des Danseuses, à Delphes, avaient déjà montré la route. On oublie peu à peu la charpente profonde pour caresser par le désir la surface des formes, comme la surface des visages par l’intention psychologique. Quand la statue reste vêtue, les robes se font plus légères qu’une brise sur l’eau. Mais, pour la première fois, le statuaire grec dévoile tout à fait la femme, dont la forme est surtout significative par les frémissements de sa surface, comme la forme masculine qui lui avait dicté sa science l’est avant tout par la logique et la rigueur de sa structure. Pour la première fois, il rejette les étoffes que les élèves de Phidias commençaient à draper en tous sens, au risque d’oublier la vie qui bougeait sous elles, il exprime sans voiles l’ascension mouvante des torses, l’animation des plans que la lumière et l’air modèlent en frissons puissants, la jeunesse des poitrines, la vigueur des ventres musculeux, le jet pur des bras et des jambes.

ll parle du corps de la femme comme on n’en avait jamais parlé, il le dresse et l’adore dans sa rayonnante tiédeur, ses ondulations fermes, dans sa splendeur de colonne vivante où la sève du monde circule avec le sang. Ces statues mutilées confèrent à la sensualité de l’homme la noblesse la plus haute. Pleines et pures, semblables à une source de lumière, confiées par tous leurs profils à l’espace qui s’immobilise autour d’elles comme saisi de respect, ces grandes formes sanctifient le paganisme tout entier, comme, plus tard, une mère penchée sur le cadavre de son fils humanisera le christianisme. Et si nous avons pour Praxitèle une reconnaissance intime, un sentiment attendri qui ne ressemble pas à l’exaltation héroïque où nous transporte Phidias, c’est qu’il nous a appris que le corps féminin, par sa montée dans la lumière et la fragilité émotionnante du ventre, des flancs, des seins où sommeille notre avenir, résume l’effort humain dans son invincible idéalisme exposé à tant d’orages. l est impossible de voir certaines de ces statues brisées, où le torse jeune et les longues cuisses survivent seules, sans être déchiré d’une tendresse sainte. "

 

Texte: Élie Faure, Histoire de l'art - L'art antique, 1921

 

Praxitèles - Vénus d'Arles

Praxitèles - Vénus d'Arles

Praxitèles  - Aphrodite Braschi, du type de l'Aphrodite de Cnide — l'un des plus sûrs attribués à Praxitèle, Glyptothèque de Munich

Praxitèles - Aphrodite Braschi, du type de l'Aphrodite de Cnide — l'un des plus sûrs attribués à Praxitèle, Glyptothèque de Munich

Rédigé par rafael

Publié dans #GRECE ANTIQUITE

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