Elie Faure - L'Art Perse
Publié le 1 Octobre 2014
Persepolis
" La Perse seule, maîtresse des foyers de la civilisation orientale pouvait, en ramassant dans un élan dernier les énergies faiblissantes des peuples qu’elle avait vaincus, tenter un résumé de l’âme antique au cours des deux cents ans qui séparèrent son apparition dans le monde de la conquête macédonienne. L’Égypte, l’Assyrie, la Grèce, elle assimila tout. Deux siècles, elle représenta l’esprit oriental déclinant en face de l’esprit occidental qui sortait de l’ombre. Elle eut -.même la destinée exceptionnelle de ne pas disparaître tout à fait de l’histoire et de manifester vis-à-vis d’une Europe changeante, tantôt très civilisée et tantôt très barbare, un génie assez souple pour accueillir tour à tour les idées du monde hellénique, du monde latin, du monde arabe, du monde indou, du monde tartare, assez indépendant pour s’émanciper de leur domination matérielle.
Si l’on remonte à ses plus anciens témoignages, alors qu’elle tentait de dégager un esprit plus libre et moins tendu de la force assyrienne, on s’aperçoit vite que les archers qui défilent ne sont pas aussi cruels, que les bêtes égorgées ne sont pas aussi redoutables, que les monstres qui gardent les portes ou soutiennent les architraves ont un abord moins brutal.
L’esprit hiératique de l’Égypte conquise et surtout l’harmonieuse intelligence des Ionιens des côtes et des îles appelés par Darius, donne à ces fêtes de mort un caractère de décoration et de parade qui masque leur férocité. Le génie alors mûrissant de la Grèce ne pouvait pas permettre qu’une forme d’art originale subsistât à côté de lui. Et comme il ne lui était pas possible d’empêcher la Perse de parler, il dénatura ses paroles en les traduisant. Il n’est même pas nécessaire de voir les monstres assyriens avant les figures de Suse pour trouver celles-ci peu vivantes, de silhouette héraldique, de style assez boursouflé. Les rois sassanides, leurs prisonniers, les grandes scènes militaires taillées dans le rocher en plusieurs points du massif montagneux qui borde les plaines iraniennes et domine la région des fleuves, ont une allure autrement forte, autrement grandiose et redoutable malgré lés emprunts visibles que la Perse continue à faire aux peuples qu’elle combat, les Romains après les Grecs et l’Assyrie. L’Asie seule et l’Égypte ont eu l’inébranlable et monstrueuse foi qu’il faut , pour imposer la forme de nos sentiments et de nos actes à ces terribles murs naturels contre qui le soleil foudroie les hommes, ou mettre trois ou quatre siècles à pénétrer les entrailles du globe pour y déposer dans l’ombre la semence de notre esprit.
A voir, au milieu des montagnes sculptées, les ruines de ces grands palais à terrasses où conduisent des escaliers géants et que les architectes ninivites étaient certainement venus bâtir, on s’étonne que le génie grec qui construisait aux mêmes siècles ses petits temples purs, ait pu s’assouplir au point de marier sans effort sa grâce à ce brutal étalage de faste et de sensualité devant qui le génie égyptien inclinait en même temps sa sérénité spirituelle et le génie assyrien sa violence. C’est pourtant la Grèce ionienne qui a donné l’élégance et l’élan aux longues colonnes des portiques, comme elle a drapé les archers et stylisé les lions. C’est l’Égypte qui a chargé leurs bases et leurs cols de puissantes ceintures végétales, lotus, feuilles grasses poussées dans l’eau tiède des fleuves. C’est l’Assyrie qui les a couronnées de larges taureaux accolés par le milieu du corps pour supporter les poutres où va s’asseoir l’entablement. Et les palais de Ninive semblent y avoir entassé leurs meubles ciselés, incrustés d’or, d’argent, de cuivre, leurs étoffes lourdes de pierres et ces épais tapis profonds, changeants, nuancés comme les moissons de la terre, opulents et confus comme l’âme orientale, que la Perse n’a pas cessé de fabriquer. Mais la décoration des demeures royales de Persépolis et de Suse est moins touffue, moins barbare et témoigne d’une industrie plus raffinée et d’un esprit qui s’humanise. La brique émaillée, dont les Assyriens, après les Chaldéens, protégeaient leurs murs contre l’humidité, est prodiguée du haut en bas de l’édifice, à l’extérieur, sous les portiques et dans les appartements. Le palais des Achéménides n’est plus l’impénétrable forteresse des Sars du Nord. Encore imposant par sa masse, par sa lourdeur rectangulaire, il est allégé par ses colonnes qui ont la fraîcheur des tiges gonflées d’eau, il est fleuri de vert, de bleu, de jaune, de rouge, brillant comme un lac au soleil, miroitant à la lueur des lampes. L’émail est la gloire de l’Orient. C’est encore lui qui réfléchit les jours ardents, les nuits de perle fauve sur les coupoles et les minarets des villes mystérieuses enfouies sous les cyprès noirs et les roses."
Élie Faure: Histoire de l'art - L'art antique, 1921
Photos: Lankaart (c)
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Ce décor de frise proviend du palais de Darius Ier à Suse, il est exposé aujourd'hui au Pergam Museum à Berlin, on en trouve des exemples dans plusieurs grands musées dans le monde, à Paris ...