Elie Faure - L'art Assyrien

Publié le 29 Septembre 2014

 

Ninive nineveh chasse au lion palais d'assurbanipal (4)

Ninive

 

" L’art assyrien est d’une simplicité terrible. Bien qu’une silhouette presque plate, à peine ombrée d’ondulations, accuse seule la forme, cette forme éclate de vie, de mouvement, de force, de sauvage caractère. On dirait que le sculpteur parcourt avec la pointe d’un couteau le trajet des nerfs qui portent l’effort meurtrier dans les reins, les membres, les mâchoires.

 

 

Ninive nineveh chasse au lion palais d'assurbanipal (5)

Ninive

 

Les os, les muscles tendent la peau à la crever. Des mains étreignent des pattes, se crispent sur des cous, bandent des cordes d’arc, des dents déchirent, des griffes labourent, le sang gicle, poisseux et noir. Seul, le visage humain ne bouge pas. Jamais on ne voit sa surface s’éclairer de la sourde illumination des figures égyptiennes. Il est tout à fait extérieur, toujours pareil, dur, fermé, très monotone, mais très caractérisé par ses yeux immenses, son nez busqué, sa bouche épaisse, son ensemble mort et cruel. Il convient que le roi dont la tête reste tiarée, les cheveux et la barbe huilés, parfumés, frisés, égorge ou étrangle avec calme le monstre ivre de fureur. Il convient que les détails de son costume, comme ceux de sa coiffure, soient décrits minutieusement. Le pauvre artiste a de pitoyables soucis. Il flatte son maître, orne ses habits, soigne ses armes et son harnais de guerre, il lustre sa chevelure, il le montre impassible et fort au combat, plus grand que ceux qui l’accompagnent, dominant sans effort la bête furieuse qu’il tue. Le caractère terrible des poitrines, des jambes, des bras en action, des fauves rués à l’attaque, muscles tendus, os craquants, mâchoires broyantes, en est trop souvent masqué.

 

 

Ninive nineveh chasse au lion detail

Ninive

 

Qu’importe. Il faut faire la part des servitudes dont un homme de ce temps ne pouvait se libérer. L’artiste ninvite comprenait, c’est la seule liberté réellement accessible. Il était infiniment plus fort que ceux dont il avait la faiblesse d’adorer l’horrible pouvoir. Les Sars trop élégants, trop courageux, les ornements royaux, les caparaçons ennuient, c’est la revanche du sculpteur. Ce qu’il aimait étreint et bouleverse. Il faut lui demander comment il voyait- les bêtes, chevaux secs à jambes maigres, à têtes nerveuses, hagardes, à naseaux battants, chiens grommelant qui tirent sur leur chaîne, lions hérissés, grands oiseaux traversés de flèches qui tombent entre les arbres. Là, il est incomparable, supérieur à tous avant et après lui, Égyptiens, Égéens, Grecs, Indous, Chinois. Japonais, imagiers gothiques, renaissants de France ou d’Italie. Il a surpris, sous les palmiers aux fruits rugueux, la bête au repos, le mufle appuyé sur ses pattes, digérant le sang qu’elle a bu. Il a vu la bête au combat, déchirant des chairs, ouvrant des ventres, enragée de faim et de colère. Les forces de l’instinct circulent avec une violence aveugle dans ces gros muscles contractés, ces chutes pesantes sur des proies, ces corps dressés debout, membres écartés, griffes ouvertes, ces mufles froncés, ces détentes irrésistibles, ces agonies aussi farouches que des élans ou des victoires. Jamais l’intransigeance descriptive n’ira plus loin. Ce lion vomit du sang parce qu’il a le poumon traversé d’une pique. Cette lionne en fureur, dents et griffes dehors, traîne vers le chasseur son corps paralysé parce que des flèches ont rompu sa moelle épinière. Morts, ils sont encore terribles, couchés sur le dos, avec leurs grosses pattes qui retombent. C’est le poème de la force, du meurtre et de la faim.

 

Nimrud bas-relief (11)Nimrud

 

Même quand il renonce pour un jour à ses sujets de bataille ou de chasse, à ses orgies d’assassinat dans le concert horrible des clameurs de mort et des rugissements, le sculpteur assyrien continue ce poème.

 

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Nimrud

 

Presque aussi bien que les sphinx des allées sacrées de l’Égypte, les monstres violents qui gardent les portes donnent cette impression d’unité animale qui fait rentrer dans l’ordre naturel les créations les plus étranges de notre imagination. Mais le statuaire de Ninive ne se contente pas de fixer une tête d’aigle à des épaules d’homme, une tête d’homme à une encolure de taureau. Le taureau, le lion, l’aigle, l’homme se mêlent, corps ou griffes de lion, pattes ou poitrail de taureau, ailes ou serres d’aigle, dure tête d’homme chevelue, barbue, avec la haute tiare. Homme, lion, aigle, taureau, toujours un être viable, d’harmonie brutale et tendue, qui remplit sa fonction symbolique et synthétise violemment les formes naturelles qui représentent à nos yeux la puissance animale armée. En général, comme en Égypte, la tête du monstre est humaine hommage obscur et magnifique rendu par l’homme de violence à la loi de l’homme essentiel qu’il porte en lui, et qui est de vaincre la force aveugle par la force de l’esprit."

 

Palais-de-Sargon-II-taureaux-ail-s--2-.jpgPalais de Sargon

 

 

Élie Faure: Histoire de l'art - L'art antique, 1921

 

Rédigé par rafael

Publié dans #MESOPOTAMIE et PERSE ANTIQUITE

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