Camus - La Peste - Extrait
Publié le 6 Janvier 2014
"On pouvait cependant avoir d’autres sujets d’inquiétude par suite des difficultés du ravitaillement qui croissaient avec le temps. La spéculation s’en était mêlée et on offrait à des prix fabuleux des denrées de première nécessité qui manquaient sur le marché ordinaire. Les familles pauvres se trouvaient ainsi dans une situation très pénible, tandis que les familles riches ne manquaient à peu près de rien. Alors que la peste, par l’impartialité efficace qu’elle apportait dans son ministère, aurait dû renforcer l’égalité chez nos concitoyens, par le jeu normal des égoïsmes, au contraire, elle rendait plus aigu dans le cœur de hommes le sentiment de l’injustice. Il restait, bien entendu, l’égalité irréprochable de la mort, mais de celle-là, personne ne voulait. Les pauvres qui soufraient ainsi de la faim, pensaient, avec plus de nostalgie encore, aux villes et aux campagnes voisines, où la vie était libre et où le pain n’était pas cher. Puisqu’on ne pouvait les nourrir suffisamment, ils avaient le sentiment, d’ailleurs peu raisonnable, qu’on aurait dû leur permettre de partir. Si bien qu’un mot d’ordre avait fini par courir qu’on lisait, parfois sur les murs, ou qui était crié, d’autres fois, sur le passage du préfet : « Du pain ou de l’air. » Cette formule ironique donnait le signal de certaines manifestations vite réprimées, mais dont le caractère de gravité n’échappait à personne.
Les journaux, naturellement, obéissaient à la consigne d’optimisme à tout prix qu’ils avaient reçue. A les lire, ce qui caractérisait la situation, c’était « l’exemple émouvant de calme et de sang-froid » que donnait la population. Mais dans une ville refermée sur elle-même, où rien ne pouvait demeurer secret, personne ne se trompait sur « l’exemple » donné par la communauté. Et pour avoir une juste idée du calme et du sang-froid dont il était question, il suffisait d’entrer dans un lieu de quarantaine ou dans un des camps d’isolement qui avaient été organisés par l’administration. Il se trouve que le narrateur, appelé ailleurs, ne les a pas connus. Et c’est pourquoi il ne peut citer ici que le témoignage de Tarrou.
Tarrou rapporte, en effet, dans ses carnets, le récit d’une visite qu’il fit avec Rambert au camp installé sur le stade municipal. Le stade est situé presque aux portes de la ville, et donne d’un côté sur la rue où passent les tramways, de l’autre sur des terrains vagues qui s’étendent jusqu’au bord du plateau où la ville est construite. Il est entouré ordinairement de hauts murs de ciment et il avait suffi de placer des sentinelles aux quatre portes d’entrée pour rendre l’évasion difficile. De même, les murs empêchaient les gens de l’extérieur d’importuner de leur curiosité les malheureux qui étaient placés en quarantaine. En revanche, ceux-ci, à longueur de journée, entendaient, sans les voir, les tramways qui passaient, et devinaient, à la rumeur plus grande que ces derniers traînaient avec eux, les heures de rentrée et de sortie des bureaux. Ils savaient ainsi que la vie dont ils étaient exclus continuait à quelques mètres d’eux, et que les murs de ciment séparaient deux univers plus étrangers l’un à l’autre que s’ils avaient été dans des planètes différentes."
Le Déserteur Monsieur le Président je vous fais une lettre Que vous lirez peut-être Si vous avez le temps Je viens de recevoir Mes papiers militaires Pour partir à la guerre Avant mercredi soir Monsieur le Président je ne veux pas la faire je ne suis pas sur terre Pour tuer des pauvres gens C’est pas pour vous fâcher Il faut que je vous dise Ma décision est prise je m’en vais déserter Depuis que je suis né J’ai vu mourir mon père J’ai vu partir mes frères Et pleurer mes enfants Ma mère a […]