Rimbaud - Le bateau ivre

Publié le 25 Janvier 2012

 

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Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.


Arthur Rimbaud (1854-1891) est un poète à part, à la fois de part sa production et d’autre part du fait de l’aura qui l’entoure, poète maudit, sa vie comme son œuvre ont fasciné des générations, encore aujourd’hui son aura reste intact auprès de tous les âges.


Né à Charleville, Rimbaud écrit très tôt, dès quinze ans il envoie ses premiers poèmes pour publication. Tourmenté par son mal être à Charleville il part à Paris en 1871, pendant  les épisodes de la Commune, il y découvre un univers en plein bouleversement, Paris envahis par les Versaillais est au prise avec l’une de ses plus grande tragédie. Rapidement il se démarque de ses contemporains critiquant les romantiques et les Parnassiens, il recherche une poésie en phase avec le dérèglement des sens, il veut exprimer une vrai vision des choses au-delà des canons de la poésie contemporaine. Comme les impressionnistes  il revisite la réalité avec un nouveau regard. En septembre 1871 il rejoint à nouveau la capitale et présente le bateau ivre à Verlaine et ses amis, il a 17 ans.  

Puis entre Bruxelles et Londres Verlaine et Rimbaud vivent un amour passionné, qui s’achève en 1873. Une saison en Enfer fait suite à ces épisodes tourmenté, il fait un portrait de lui, de sa vie, de ses échecs et de ses révoltes sans concessions, un long cri dans la nuit. Puis il part à travers l’Europe, Allemagne, Suède, Danemark, Autriche-Hongrie, Italie, Suisse et Chypre, et poursuit l’aventure à Java, puis en Egypte, au Yémen et finalement à Aden. Il pénètre en Abyssinie où il pratique le commerce. Vie d’aventure, son périple deviendra un mythe, celui du poète maudit disparu dans la fournaise de la corne de l’Afrique. En 1891 il retourne en France, malade, une tumeur au genou lui sera fatal, il meurt à Marseille.


Sa poésie et sa vie mouvementé on créé le mythe, mais le poète est un initiateur, c’est Rimbaud qui prendra le contre pied de la poésie romantique, remettant en cause les règles classiques de composition, inventant le vers libre, développant une poésie en prose qui expose sans ménagement ses errances et ses troubles personnel. Parfois difficile à cerner, le sens de ces poèmes reste souvent un mystère, mais sa poésie reste insurpassable, et a ouvert la voie à la poésie moderne.



                                           La vrai vie est absente.
Nous ne sommes pas au monde.



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Rédigé par rafael

Publié dans #NATURALISME et IMPRESSIONISME

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