Mycènes - Henry Miller
Publié le 3 Mai 2020
" Avec Mycènes, qui chronologiquement, vient après Tirynthe, le décor change du tout au tout. L’immobilité qui règne aujourd’hui en ces lieux fait penser à l'épuisement d'un monstre cruel et intelligent qu'on aurait saigné à mort. Mycènes ... a dû connaître, me semble-t-il, un vaste cycle d'épanouissement et de dégénérescence. Mycènes m'a tout l'air de se situer historiquement, à tous égard, en dehors du temps. J'ignore par quel mystère cette même race égéenne, qui, de Crète, apporta les semences de la culture à Tirynthe, a pu atteindre ici, dans son développement, à une grandeur quasi divine, et pondre hâtivement une race de héros, de Titans, de demi-dieux, puis, comme épuisé et éblouie par cette floraison divine sans précédent, retomber dans une noire et sanglante lutte intestine qui a duré des siècles et s'est terminée à une époque si lointaine que, pour les successeurs, elle prit l'allure d'une mythologie. A Mycènes, les dieux ont jadis foulé la terre, la chose est sûr. A Mycènes, de la descendance de ces mêmes dieux est né un type d'homme, à la fois artiste jusqu'à la moelle et monstrueux dans ses passions. L'architecture était cyclopéenne; les ornements, d'une délicatesse, d'une grâce que l'art d'aucune autre époque n'a jamais égalées. L'or abondait, on l'utilisait à profusion. Tout, en ces lieux, est contradiction. On s'y trouve devant l'un des nombrils de l'esprit humain, point d'attache du passé, mais aussi point où l'on coupe le cordon. L'endroit a l'air impénétrable: sévère, adorable, séduisant, repoussant. Les historiens et les archéologues ont tissé, pour couvrir le mystère, un voile mince et nullement satisfaisant. Ils rassemblent des fragments épars qu'ils relient, selon l'habitude, comme il sied à leur indigente logique. Personne n'a encore pénétré le mystère de ce paysage chenu. Il défie les processus débiles de l'intellect, en attendant le retour des dieux; la résurrection de facultés aujourd'hui dormantes. "
Henry Miller, Le Colosse de Maroussi.