Dali - Marché aux esclaves avec ...

Publié le 25 Août 2018

Dali - Marché aux esclaves avec ... (Voltaire)

Dali - Marché aux esclaves avec ... (Voltaire)

Ce tableau de Dali, peint en 1940, interroge sur l’ambiguïté de la pensée insufflée par les lumières au XVIIIe siècles et de l'esclavage pratiqué à une très grande échelle à cette époque.

Plusieurs regards sont possibles, celui de Montesquieu:

" Dans l'Europe des Lumières se lèvent alors des hommes pour dénoncer et combattre l'esclavage. Montesquieu sera l'un d'eux : sa dénonciation de l'esclavage dans les Lettres persanes dès 1721 sera relayée dans l'Esprit des lois en 1748, en particulier dans le livre XV. La révolte des esclaves dans la Jamaïque anglaise ainsi que dans les Guyanes françaises et surtout hollandaises donne un souffle à ce courant de pensée. Elle inspire à Voltaire, dans Candide, l'épisode du nègre de Surinam. À la veille de la Révolution, des sociétés anti-esclavagistes voient le jour, d'abord à Londres, puis à Paris, sous la forme de la société des Amis des Noirs, fréquentée par les esprits éclairés et les révolutionnaires, parmi lesquels on compte, entre autres, Condorcet et Mirabeau. Abrogé par la Convention, en 1794, rétabli sous Napoléon, en 1802, l'esclavage dans les colonies françaises est définitivement aboli, sous la IIe République, grâce à Victor Schoelcher, en 1848. "

BNF, Gallica

On peut aussi lire chez Voltaire des considérations propres à son époque:

"Des différentes races d'hommes. Ce qui est plus intéressant pour nous, c'est la différence sensible des espèces d'hommes qui peuplent les quatre parties connues de notre monde.

Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lappons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes.

Il n'y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n'ait vu une partie du reticulum mucosum d'un Nègre disséqué par le célèbre Ruysch. Tout le reste de cette membrane fut transporté par Pierre-le-Grand dans le cabinet des raretés, à Petersbourg. Cette membrane est noire, et c'est elle qui communique aux Nègres cette noirceur inhérente qu'ils ne perdent que dans les maladies qui peuvent déchirer ce tissu, et permettre à la graisse, échappée de ses cellules, de faire des tâches blanches sous la peau.

Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des nègres et des négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un noir et d'une blanche, ou d'un blanc et d'une noire.

Les Albinos sont, à la vérité, une nation très petite et très rare ; ils habitent au milieu de l'Afrique : leur faiblesse ne leur permet guère de s'écarter des cavernes où ils demeurent ; Cependant les Nègres en attrapent quelquefois, et nous les achetons d'eux par curiosité. Prétendre que ce sont des Nègres nains, dont une espèce de lèpre a blanchi la peau, c'est comme si l'on disait que les noirs eux-mêmes sont des blancs que la lèpre a noircis. Un Albinos ne ressemble pas plus à un Nègre de Guinée qu'à un Anglais ou à un Espagnol. Leur blancheur n'est pas la nôtre : rien d'incarnat, nul mélange de blanc et de brun ; c'est une couleur de linge ou plutôt de cire blanchie ; leurs cheveux, leurs sourcils, sont de la plus belle et de la plus douce soie ; leurs yeux ne ressemblent en rien à ceux des autres hommes, mais ils approchent beaucoup des yeux de perdrix. Ils ressemblent aux Lappons par la taille, à aucune nation par la tête, puisqu'ils ont une autre chevelure, d'autres yeux, d'autres oreilles; et ils n'ont d'homme que la stature du corps, avec la faculté de la parole et de la pensée dans un degré très éloigné du nôtre. Tels sont ceux que j'ai vus et examinés. "  ​​​​​​​

Voltaire,  Essai sur les Mœurs et l'esprit des Nations, 1756.  édition de 1805 (Imprimerie Didot)

Mais aussi dans Candide des propos contre l'esclavage:

" En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.

« Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ?

- J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.

- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?

- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère ».

Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.

- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo. - Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal." Et il versait des larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam."

Candide, Voltaire, 1759.

​​​​​​​Le tableau de Dali illustre parfaitement cette ambiguïté entre la pensée, l'époque, la réalité. 

Rédigé par rafael

Publié dans #ART MODERNE

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article