Picasso - Trois figures sous un arbre

Publié le 10 Avril 2018

Picasso - Trois figures sous un arbre

Picasso - Trois figures sous un arbre

Trois figures féminines se serrent dans ce format carré, rare chez Pablo Picasso. A l’arrière-plan, dans une forme de point de fuite factice, la silhouette d’un tronc et d’un branchage ainsi que le vert profond appliqué dans une superposition de hachures, nous disent que nous sommes dans une forêt. Les choix chromatiques opérés par Pablo Picasso soufflent le froid et le chaud. On passe d’une gamme d’ocres presque jaunes, à l’ocre orangé puis rouge évoquant l’écorce, puis au vert d’eau et au bleu profond outremer. Les mêmes couleurs sont utilisées pour le traitement des visages, des corps, de l’arbre et du fond, affirmant l’unité de l’espace pictural.

Les trois figures féminines ne sont ni de charmantes Baigneuses ni les sensuelles Trois Grâces. Leur inexpressivité les rend inquiétantes: leurs yeux sont vides, les visages figés. L’érotisme lui-même est évité par la réduction des seins à ces collerettes. Depuis l’élaboration des Demoiselles d’Avignon (été 1907), Picasso n’a eu de cesse de quitter toute expressivité sentimentale et littéraire. Il cherche à élaborer un mode de pensée et un vocabulaire purement plastiques, sans connotations poétiques. Les visages des trois femmes sont comme posés sur leurs torses, et géométrisés: un ovale avec un point noir au centre signifie «oreille», les stries verticales «cheveux», le nez triangulaire dit «en quart de brie» se prolonge en paupière et arcade sourcilière. Les ombres et reliefs sont marqués par des aplats de couleur contrastés – c’est la leçon de l’impressionnisme et de Cézanne. Ce sont des masques, et venus de fort loin.En effet, le goût pour l’art africain se développe chez les artistes. Derain a acheté au peintre Vlaminck, qui collectionne l’art africain dès 1904, un masque Fang du Gabon dont le nez se prolonge en arcades sourcilières symétriques comme ici. Matisse, que fréquente Picasso, possède des sculptures africaines au moins depuis 1906, et les a montrés à Picasso bien avant Les Demoiselles d’Avignon, qui serait resté fasciné et les collectionnera à son tour (photographie de Picasso au Bateau-Lavoir avec des sculpture africaine, DP 13). Picasso visite le musée ethnographique du Trocadéro à partir de mars 1907, avec le peintre Derain.

Même si certaines formes se retrouvent, le rapport de Pablo Picasso à l’art africain n’est pas imitatif. L’art africain lui apprend à structurer autrement le volume en peinture, par la lumière qui heurte les surfaces et la simplification symbolique des formes (voir les Etudes de visages, MP624). Dans notre tableau, le clair-obscur est purement conceptuel: les zones claires sont disposées selon ce qui doit ressortir et ne correspondent à aucune illusion de lumière naturelle. On retrouvera ce système pour la série d’œuvres de la période nègre (L’amitié, La Fermière, Trois femmes dont les études sont conservées au Musée national Picasso - Paris, MP579 à MP598, 1908) et surtout pour le cubisme. De plus, cet art des «fétiches» déploie un rapport magique aux objets d’art qui frappe Pablo Picasso: ce sont des «armes» libératoire, des « outils» «pour aider les gens à ne plus être les sujets des esprits, à devenir indépendants», car «si nous donnons une forme aux esprits, nous devenons indépendants» dira-t-il à Malraux en 1937: l’art donne forme au plus spirituel en l’homme, et le libère.

Musée Picasso

Rédigé par rafael

Publié dans #ART MODERNE

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