Picasso - L’homme à la guitare

Publié le 19 Avril 2018

Picasso - L’homme à la guitare

L’homme à la guitare et L’homme à la mandoline affirment leur majesté dans des panneaux verticaux et particulièrement étroits, un format rare chez Picasso qui travaillait à un projet avorté de décors pour la bibliothèque d’un collectionneur américain. Ils font partie d’une série d’une dizaine de grandes compositions cubistes représentant des personnages musiciens, et un «Poète», peintes par Picasso entre l’automne 1911 et l’été 1913 sur des périodes d’exécutions parfois très longues .... Leur particularité est d’avoir été agrandis et repeints: on remarque dans les deux cas que le tiers inférieur de l’œuvre, plus clair, contraste avec la zone supérieure. En 1912, Picasso a repris à Kahnweiler un Moine à la mandoline réalisé en 1911, déplié une partie de la toile restée fixée à l’arrière, et l’a transformé en cet Homme à la guitare. La couture ayant permis de placer une surface supplémentaire au bas de l’Homme à la mandoline est dissimulée sous une ligne de petites hachures grises.

«Camaïeux de gris, brun, ocre, légers frottis transparents, fragmentation des volumes en facettes et géométrisation des plans: telles sont les caractéristiques du cubisme analytique, que l’on retrouve dans ce tableau» (Marie-Laure Bernardac). Ce cubisme «cristal» construit des cathédrales de peintures, aux multiples reliefs qui s’enchevêtrent dans la légèreté et la transparence. Ces deux musiciens sont désincarnés: ce sont des silhouettes en pied sans visage ni personnalité, dont les lignes et angles se détachent dans un relief construit par l’esprit, sans illusionnisme. Le cubisme analytique pousse à son point extrême une expérience de pensée consistant à peindre ce qui est conçu et non ce que l’on voit. Le tableau est ici centré sur le vide central de la guitare. Picasso ne peint pas de musiciens et des poètes par hasard: il affirme la parenté spirituelle et intérieure de la peinture et de la musique, et fait fi de la littérature au profit des concepts, d’où l’apparition des mots peints, une trouvaille de Braque qui a introduit juste quelques semaines avant des pochoirs dans ses toiles.

Pour autant, jamais Picasso ni Braque ne décident de passer à l’abstraction, alors que Kandinsky a déjà sauté le pas, et que Piet Mondrian, leur rendant visite à Paris en 1911, partira de ce cubisme pour développer son abstraction géométrique. Les lettres KOU intriguent, et pourraient renvoyer à ce contexte xénophobe et violemment nationaliste des années précédant la Grande Guerre, marquées par une hostilité croissante entre la France et l’Allemagne qui trouve des échos dans le monde artistique. Une campagne anti-cubiste et xénophobe, mêlant rejet de l’art moderne «étranger» et un sentiment national anti-allemand est ainsi menée après le Salon d’Automne de 1911, et Picasso se voit traité par le critique Louis Vauxcelles d’«Ubu-Kub». En réaction, il peint La tasse (le bouillon Kub) - «-Koub», si on a l’accent espagnol prononcé de Picasso, et les lettres «KOU» apparaissent dans plusieurs œuvres de cette époque (La Tête d’homme («KOU»), premier trimestre 1912, MAMVP). L’hypothèse est peut-être farfelue. L’apparition de ces lettres marque néanmoins le début du recours de plus en plus important aux caractères d’imprimerie, puis aux journaux eux-mêmes, et enfin à d’autres papiers collés qui caractériseront la phase «synthétique» à venir du cubisme.

Musée Picasso

Rédigé par rafael

Publié dans #ART MODERNE

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