Kyoto - Village - Esthétique de l'ordinaire
Publié le 22 Février 2018
" L’esthétique ne peut se réduire aujourd’hui au domaine des pratiques labellisées comme artistiques, fussent-elles exotiques, populaires, naïves, psychiatriques ou “brutes”. On sait maintenant qu’il s’agit d’une dimension permanente, quotidienne de toute pratique, qu’elle soit placée au premier plan ou qu’elle demeure voilée et quasi imperceptible derrière les aspects techniques ou économiques.
C’est précisément la leçon que nous a donné le Japon lors de sa réouverture, en 1868 (restauration de l’empereur Meiji) : lorsque les cultures occidentales ont su dépasser le premier exotisme, puis le japonisme –comme imitation fascinée–, pour accéder à une connaissance plus profonde et plus exacte de cette culture, longtemps “nec-plus-alter” pourrait-on dire, parce que longtemps fermée à l’Occident, elles ont découvert une tout autre manière de comprendre l'esthétique. Là, nos catégories du beau et notre hiérarchie des beaux-arts perdaient toute pertinence : l’objet le plus simple et le plus commun y devenait le plus propre à investissement esthétique. C’est là que réside la notion essentielle de seihin : honorable pauvreté, principe de frugalité, austérité, prôné par les religieux japonais, particulièrement Kamo no Chômei à l’époque Kamakura.
Observer l’expérience, l’émotion, puis la relation esthétique ne se réduit plus alors à observer les pratiques de production d’objets spécifiques par des acteurs légitimés, ni les pratiques de leur simple réception. La relation esthétique concerne tout objet, et plus encore l’objet dit "commun", ordinaire, quotidien, c’est à dire en fait toute pratique (dans sa dimension esthétique) et tout résultat, toute trace de cette pratique. Par "objet", il faut également entendre objet simple et isolé, ou bien "dispositif", assemblage, ensemble complexe d’objets coordonnés selon des règles précises (ou au contraire une apparente absence de règles), et des valeurs choisies, exprimées. Un exemple particulièrement riche de ces assemblages sont les lieux de la ville, produits, ressentis et pratiqués quotidiennement par le plus grand nombre d’une société (et non par les fractions spécifiques qui fréquentent les lieux artistiques spécialisés). "
Philippe Bonnin
Esthétique ordinaire de la ville KYÔTO-PARIS-TÔKYÔ
http://www.culture.gouv.fr/culture/mpe/recherche/pdf/R_425.pdf
Photos: lankaart (c)