Noa Noa - Paul Gauguin

Publié le 1 Mars 2017

Vairumati

Vairumati

Dans ces toiles gonflées encore des souffles lointains qui nous les apportèrent, vivantes d'une vie à la fois élémentaire et fastueuse, c'est la sérénité de l'atmosphère qui donne à la vision sa profondeur, c'est la simplification des lignes qui projette les formes dans l’infini, c’est du mystère que l’intarissable lumière, en le désignant, irradie, révélant : une race.

Si distant de la nôtre, qu’elle te semble, dans le genre humain, une espèce différente de toutes, à part, exceptionnelle.

Dans la nature éternellement en fête qui lui fait un cadre de luxuriance, avec le frisson glorieux de ses grandeurs anciennes, avec le marques fatales de sa présente agonie, avec sa religion recherchée dans ses origines et poursuive jusque dans les conséquences qui l’amènent à l’orée du christianisme : une race, dite par un esprit, le mieux fait, ou l’unique, pour la comprendre et pour l’aimer, par les procèdes artistiques les plus voisins de ce luxe extraordinaire en sa simplicité, luxe animal et végétal où le prodige de l'éclat n'égale que le prodige de l'ombre installée au fond de cet éclat même.

L'esprit des morts veille

L'esprit des morts veille

Vois, par exemple.

Des formes féminines, nues ; dorées, bronzées, de colorations à la fois sombres et ardentes. Le soleil les a brulées, mais il les a pénétrées aussi. Il les habite, il rayonne d'elles, et ces formes de ténèbres recèlent la plus intense des chaleurs lumineuses. A cette clarté, l'âme, d'abord, te semble transparente de créatures promptes au rire, au plaisir, hardies, agiles, vigoureuses, amoureuses, comme autour d'elles les grandes fleurs aux enlacements audacieux, — de ces filles indolentes et turbulentes, aimantes et légères, entêtées et changeantes, gaies le matin et tout le jour, attristées, tremblantes des la fin de soir et tout la nuit : or, la lumière éblouit comme elle éclaire. Le soleil dévoile tous les secrets, excepté les siens. Ces obscurs foyers vivants de rayons, les Maories, sous des dehors de franchise, d'évidence, gardent peut-être aussi, dans leurs âmes, des secrets. Déjà, entre la majesté architecturale de leur beauté et la grâce puérile de leurs gestes, de leurs allures, un écart avertit.

Vois plus loin.

Musicienne

Musicienne

En effet, la Maorie a tout oublié les terreurs de la nuit pour la volupté d'être, dans la fraîcheur brillante de matin, et d'aller, et de s'ébattre, insoucieuse, libre dans la caresse de l'air, de l'herbe, du bain. Sa vie s'éveille avec la belle humeur de la terre et du soleil. Le plaisir est la grande affaire, et l'amour n'est que plaisir. Puis, elle danse, elle se couronne de fleurs, elle chante, elle rit, elle joue, et puis elle aime encore, à l'ombre des pandanus, et puis elle rit encore, et tout n'est que plaisir. Et la mer est là, dont elle préfère le blanc rivage aux fourrés de la foret, la mer jolie avec ses récifs de coraux, la mer vivante avec sa voix infinie qui accompagne sourdement l'iméné[1], la mer reposante qui baise de ses brises les brûlures de l'amour et du soleil. Et l'amour n'est que plaisir, et tout n'est que plaisir, même le travail : l'occasion d'une promenade en mer ou sur la montagne, la gloriole de montrer sa force ou son adresse, le douceur d'obliger un ami, -- le travail, plaisir des hommes qu'ils partagent avec les femmes et dont la nature a, d'avance, fait les frais. Et la sagesse, encore, est un jeu, le plaisir des vieillards, aux veillées -- aux veillées où la peur, aussi, amuse (tant, du moins, que le soleil n'a pas quitté l'horizon et qu'on est à plusieurs), par des récits fantastiques, préludes aux prochains cauchemars et qui relèvent d'un peu de religieuse horreur le délice accompli du jour, -- bien que déjà, durant la sieste, l'aile noire des Tupapaüs[2]ait effleuré le front des dormeuses.

Deux tahitiennes Parau api

Deux tahitiennes Parau api

Près de la case en bois de bourao, à distance du rivage que la matinée tropicale maintenant embrase, la forêt commence et de l'ombre fraîche tombe des premiers manguiers. Des hommes, des femmes, tanés, vahinés, sont là, groupés, épars, debout et affairés, assis ou couchés et déjà reposant. On boit, on bavarde, on rit. NOA NDA 9

An loin, la mer, égayèe de barques indolemment vites, que des jeunes gens dirigent, tantôt à la rame, tantôt par de simples déplacements du corps ; et leurs paréos (1) bleus et blancs, et leurs poitrines cuivrées. et le jaune rouge du bois des barques, font avec l’azur du ciel et le vert et l’orange des flots une harmonie large et gaie, que rythment l’éclair blanc des dents aux fréquents éclats de rire et la frange blanche de la mousse des vagues.

Sur le bord, iiiãlgré la chaleur, deux sœurs, qui viennent de se baigner, s’attardent en de gracieuses attitudes animales de repos, et parlent amours d’hier, de demain. Une querelle : un souvenir. n

— Eh ! quoi ? tu es jalouse ?

Au fond de l’anse, un jeune tanè, admirable dans l’équilibre de sa force et la justesse de ses proportions, tranche à coups de hache un tronc d’arbre. Sur une barque, disposant les éléments brève traversée, et se penchant, à genoux, le dos horizontal, les bras étendus, sa vahiné nue jusqu’aux hanches, les seins pendants, lourds et fermes et frémis sauts, garde, en dépit de la posture, une incontestable élégance. Là bas vers l’intérieur, dans la maison maorie, ouverte, une femme, assise sur ses jambes, devant la porte, le coude. Ceinture : unique vêtement.

 

Quoi tu es jalouse

Quoi tu es jalouse

Noa Noa
édition de Charles Morice [avec ses poèmes]
publiée en 1901

Rédigé par rafael

Publié dans #FAUVISME etc..

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A
très beau blog sur l'art et la mode. un plaisir de venir ici.
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R
Merci, vous pouvez le faire connaître autour de vous à bientôt