Giotto - Henri Delaborde
Publié le 4 Mars 2017
"L’empire de Giotto sur L’art italien durant toute la première phase de la renaissance est donc un fait principal, exceptionnel par la durée aussi bien que par son importance même, et, comme le dit très justement M. Rio, « un prodige de vitalité qui ne se retrouve dans l’histoire d’aucun autre artiste ancien ou moderne. » Venu presque sans précurseurs, créateur de l’art et du métier tout ensemble, Giotto partage avec Dante, son contemporain et son ami, la gloire d’avoir, du jour au lendemain, révélé le beau à son pays par la poésie des inspirations comme par la précision des formes, d’avoir donné l’essor aux plus hautes facultés de l’imagination en même temps qu’il définissait, qu’il instituait les lois du style et du langage. Certes la grammaire pittoresque a subi depuis lors des modifications de plus d’une sorte : d’autres inspirations ont eu leur tour ; un autre idéal, un autre ordre de sentimens ont exigé des ressources d’expression nouvelles ; celles que Giotto avait popularisées pouvaient et devaient, à un moment donné, devenir insuffisantes. Toujours est-il qu’en vieillissant elles n’ont compromis pour cela ni la valeur des pensées qu’elles traduisent, ni l’éloquence propre du maître. On en jugeait autrement, je le sais, en France au siècle dernier ; mais nous sommes à présent mieux informés et plus justes. Le temps est loin où le président de Brosses qualifiait sans marchander de « barbouilleur… ce grand maître si vanté dans toutes les histoires, » qui pourrait, ajoutait-il, « être reçu pour peindre un jeu de paume. » Aujourd’hui sans doute il semblerait plus opportun de lui confier la décoration d’un sanctuaire, et si l’on se rappelle, entre autres témoignages, ce qui subsiste dans les églises de l’Annunziata nell’ Arena à Padoue, de Saint-François à Assise, de l’Incoronata à Naples, il faut convenir que le choix serait bon. En tout cas, l’auteur de l’Art chrétien y souscrirait avec autant d’empressement que personne. Bien qu’on puisse se trouver en désaccord avec M. Rio sur quelques points de détail, — sur l’insuffisance mystique notamment qu’il reproche à la grande Madone conservée aujourd’hui à Florence dans la galerie de l’Académie des Beaux-Arts, — on ne saurait, quant aux vues d’ensemble, quant à l’appréciation générale des talents, contester la justesse de ses jugements. Les pages consacrées par lui à Giotto, à ses contemporains et à son école sont peut-être les plus instructives qu’on ait écrites en France sur ce sujet, et, mérite assez rare à notre époque, elles ne remettent en lumière que des noms faits pour l’histoire, des œuvres dignes de souvenir."
Henri Delaborde
Les Écoles italiennes et l’Académie de Peinture en France
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