D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme - Paul Signac
Publié le 25 Février 2017
1. Croire que les néo-impressionnistes sont des peintres qui couvrent leurs toiles de petits points multicolores est une erreur assez répandue. Nous démontrerons plus tard, mais affirmons-le dès maintenant, que ce médiocre procédé du point n’a rien de commun avec l’esthétique des peintres que nous défendons ici, ni avec la technique de la division qu’ils emploient.
Le néo-impressionniste ne pointille pas, mais divise.
Or, diviser c’est :
S’assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la coloration et de l’harmonie, par :
1° Le mélange optique de pigments uniquement purs (toutes les teintes du prisme et tous leurs tons) ;
2° La séparation des divers éléments (couleur locale, couleur d’éclairage, leurs réactions, etc.) ;
3° L’équilibre de ces éléments et leur proportion (selon les lois du contraste, de la dégradation et de l’irradiation) ;
4° Le choix d’une touche proportionnée à la dimension du tableau.
La méthode formulée en ces quatre paragraphes régira donc la couleur pour les néo-impressionnistes, dont la plupart appliqueront en outre les lois plus mystérieuses qui disciplinent les lignes et les directions, et en assurent l’harmonie et la belle ordonnance.
Ainsi renseigné sur la ligne et sur la couleur, le peintre déterminera à coup sûr la composition linéaire et chromatique de son tableau, dont les dominantes de direction, de ton et de teinte seront appropriées au sujet qu’il veut traiter.
2. Avant d’aller plus loin, invoquons l’autorité du génie haut et clair d’Eugène Delacroix : les règles de couleur, de ligne et de composition que nous venons d’énoncer et qui résument la division, ont été promulguées par le grand peintre.
Nous allons reprendre une à une toutes les parties de l’esthétique et de la technique des néo-impressionnistes, puis en les comparant aux lignes écrites sur les mêmes questions par Eugène Delacroix dans ses lettres, ses articles et dans les trois volumes de son Journal (Journal d’Eugène Delacroix, publié par MM. Paul Fiat et René Piot, — Pion et Nourrit, éditeurs), nous montrerons que ces peintres ne font que suivre l’enseignement du maître et continuer ses recherches.
3. Le but de la technique des néo-impressionnistes est d’obtenir, nous l’avons dit, un maximum de couleur et de lumière. Or, ce but n’est-il pas clairement indiqué par ce beau cri d’Eugène Delacroix :
« L’ennemi de toute peinture est le gris ! »
Pour arriver à cet éclat lumineux et coloré, les néo-impressionnistes n’usent que de couleurs pures se rapprochant, autant que la matière peut se rapprocher de la lumière, des couleurs du prisme. Et n’est-ce pas là encore obéir au conseil de celui qui écrit :
« Bannir toutes couleurs terreuses. »
De ces couleurs pures, ils respecteront toujours la pureté, se gardant bien de les souiller en les mélangeant sur la palette (sauf évidemment avec du blanc et entre voisines, pour toutes les teintes du prisme et tous leurs tons) ; ils les juxtaposeront en touches nettes et de petite dimension, et, par le jeu du mélange optique, obtiendront la résultante cherchée, avec cet avantage que tandis que tout mélange pigmentaire tend, non seulement à s’obscurcir, mais aussi à se décolorer, tout mélange optique tend vers la clarté et l’éclat. Delacroix se doutait bien des prérogatives de cette méthode :
« Teintes, de vert et de violet mis crûment, çà et là, dans le clair, sans les mêler. »
« Vert et violet : ces tons il est indispensable de les passer l’un après l’autre ; et non pas les mêler sur la palette. »
Et, en effet, ce vert, ce violet, couleurs presque complémentaires, mélangés pigmentairement eussent donné une teinte terne et sale, un de ces gris ennemis de toute peinture, tandis que, juxtaposés, ils reconstitueront optiquement un gris fin et nacré.
Le traitement que Delacroix imposait au vert et au violet, les néo-impressionnistes n’ont fait que le généraliser logiquement et l’appliquer aux autres couleurs. Prévenus par les recherches du maître, renseignés par les travaux de Chevreul, ils ont instauré ce mode unique et certain d’obtenir à la fois lumière et couleur : Remplacer tout mélange pigmentaire de teintes ennemies par leur mélange optique.
4. Toute teinte plate leur paraissant veule et éteinte, ils s’efforcent de faire chatoyer la moindre partie de leurs toiles par le mélange optique de touches de couleurs juxtaposées et dégradées.
Or, Delacroix a énoncé nettement le principe et les avantages de cette méthode :
« Il est bon que les touches ne soient pas matériellement fondues. Elles se fondent naturellement aune distance voulue par la loi sympathique qui les a associées. La couleur obtient ainsi plus l’énergie et de fraîcheur. »
Et plus loin :
« Constable dit que la supériorité du vert de ses prairies tient à ce qu’il est composé d'une multitude de verts différents. Ce qui donne le défaut d’intensité et de vie à la verdure du commun des paysagistes, c’est qu’ils la font ordinairement d’une teinte uniforme. Ce qu’il dit ici du vert des prairies peut s’appliquer à tous les tons. »
Cette dernière phrase prouve nettement que la décomposition des teintes en touches dégradées, cette partie si importante de la division, a été pressentie par le grand peintre que sa passion de couleur devait fatalement amener à constater les bénéfices du mélange optique.
Mais, pour assurer le mélange optique, les néo-impressionnistes ont été forcés d’user de touches de petite dimension, afin que les divers éléments puissent, au recul nécessaire, reconstituer la teinte voulue et non être perçus isolément.
Delacroix avait songé à employer ces touches réduites et se doutait des ressources que cette facture pouvait lui procurer, puisqu’il écrit ces deux notes :
« Hier, en travaillant l’enfant qui est près de la femme de gauche dans l’Orphée, je me souvins de ces petites touches multipliées faites avec le pinceau et comme dans une miniature, dans la Vierge de Raphaël que j’ai vue rue Grange-Batelière. »
« Tâcher de voir au Musée les grandes gouaches de Corrège. Je crois qu’elles sont faites à très petites touches. »
5. Pour le néo-impressionniste, les divers éléments qui doivent reconstituer la teinte par leur mélange optique seront distincts les uns des autres : la lumière et la couleur locale seront nettement séparées, et le peintre fera dominer tantôt lune, tantôt l’autre, à son gré.
Ce principe de la séparation des éléments ne se retrouve-t-il point dans ces lignes de Delacroix :
« Simplicité des localités et largeur de lumière. »
« Il faut concilier la couleur « couleur » et la lumière « lumière ». »
L’équilibre de ces éléments séparés et leur proportion ne sont-ils pas nettement indiqués :
« Faire trop dominer la lumière et la largeur des plans conduit à l’absence de demi-teintes et par conséquent à la décoloration ; l’abus contraire nuit surtout dans les grandes compositions destinées à être vues de loin. Véronèse l’emporte sur Rubens par la simplicité des localités et la largeur de la lumière. »
« Pour ne point paraître décolorée avec une lumière aussi large, il faut que la teinte locale de Véronèse soit très montée de ton. »
6. Le contraste de ton et de teinte que, seuls des peintres contemporains, les néo-impressionnistes observent, n’est-il pas défini et imposé par le maître :
« Ma palette brillante du contraste des couleurs.
Loi générale : plus d'opposition, plus d’éclat.
La satisfaction que donnent, dans le spectacle des choses, la beauté, la proportion, le contraste, l’harmonie de la couleur.
Bien que ce soit contre la loi qui veut les luisants froids, en les mettant jaunes sur des tons de chairs violets, le contraste fait que l’effet est produit.
Quand, sur le bord d’un plan que vous avez bien établi, vous avez un peu plus de clair qu’au centre, vous prononcez d’autant plus son méplat ou sa saillie… on aura beau mettre du noir, on n’aura pas de modelé. »
Cette note d’un des carnets du voyage au Maroc montre quelle importance Delacroix attachait aux lois du contraste et des couleurs complémentaires qu’il savait être des sources inépuisables d’harmonie et de puissance :
« Des trois couleurs primitives se forment les trois binaires. Si au ton binaire vous ajoutez le ton primitif qui lui est opposé, vous l’annihilez, c’est-à-dire vous en produisez la demi-teinte nécessaire. Ainsi, ajouter du noir n’est pas ajouter de la demi-teinte, c’est salir le ton dont la demi-teinte véritable se trouve dans le ton opposé que nous avons dit. De là, les ombres vertes dans le rouge. La tête des deux petits paysans. Celui qui était jaune avait des ombres violettes ; celui qui était le plus sanguin et le plus rouge, des ombres vertes. »
7. D’après la technique néo-impressionniste, la lumière, jaune, orangée ou rouge, selon l’heure et l’effet vient s’ajouter à la teinte locale, la réchauffer ou la dorer dans ses parties les plus éclairées. L’ombre, fidèle complémentaire de son régulateur la lumière, est violette, bleue ou vert bleuâtre et ces éléments viennent modifier et refroidir les parties sombres de la couleur locale. Ces ombres froides et ces lumières chaudes, dont les luttes et les jeux, entre elles et avec la couleur locale, constituent le contour et le modelé, se répandent, immiscées ou contrastées, sur toute la surface du tableau, l’illuminant ici, l’éteignant là, en place et proportion déterminées par le clair-obscur.
Or, ces lumières jaunes ou orangées, ces ombres bleues ou violettes, qui ont excité tant d’hilarité, les voici prescrites, et catégoriquement, par Delacroix :
« Dans Véronèse, le linge froid dans l’ombre, chaud dans le clair.
Tons dorés et rouges des arbres, ombres bleues et lumineuses.
Les tons de chrome du côté du clair et les ombres bleues.
À Saint-Denis du Saint-Sacrement j’ai dû peindre les lumières avec du jaune de chrome pur et les demi-teintes avec du bleu de Prusse.
L’orangé mat dans les clairs, les violets les plus vifs pour le passage de l’ombre et des reflets dorés dans les ombres qui s’opposaient au sol.
Tout bord de l’ombre participe du violet. »
8. On a souvent reproché aux néo-impressionnistes d’exagérer les colorations, de peindre criard et bariolé. Ils ne tiendront pas compte de ces critiques, formulées par des gens dont on peut dire avec Delacroix que :
« Le terreux et l’olive ont tellement dominé leur couleur que la nature est discordante à leurs yeux avec ses tons vifs et hardis. »
Le peintre vraiment coloriste, c’est-à-dire celui qui, comme les néo-impressionnistes, soumet la couleur aux règles de l’harmonie, n’aura jamais à craindre de paraître criard en étant trop coloré. Il laissera de plus timorés souhaiter « non la couleur, mais la nuance encor » et ne redoutera pas de rechercher l’éclat et la puissance par tous les moyens possibles. Car Delacroix l’avertit que :
« La peinture paraîtra toujours plus grise qu’elle n’est, par sa position oblique sous le jour… »
et lui montre le triste effet d’un tableau terne et décoloré :
« Il paraîtra ce qu’il est effectivement : terreux, morne et sans vie. — Tu es terre et tu redeviens terre. »
Il ne craindra donc pas d’employer les teintes les plus éclatantes, ces teintes
«… que Rubens produit avec des couleurs franches et virtuelles, telles que des verts, des outremers. »
Même lorsqu’il voudra obtenir des gris, il usera de teintes pures dont le mélange optique lui donnera la résultante voulue, combien plus précieuse que celle, non grise, mais sale, obtenue par un mélange pigmentaire. Ces colorations intenses et brillantes, il les exaltera encore, lorsqu’il le jugera utile, par la dégradation et le contraste.
S’il connaît les lois d harmonie, qu’il ne craigne jamais de dépasser la mesure. Delacroix l’incite à colorer à outrance, le lui ordonne même :
« Il faut que la demi-teinte, c’est-à-dire tous les tons, soit outrée.
Il faut que tous les tons soient outrés. Rubens outré. Titien de même. Véronèse quelquefois gris, parce qu’il cherche trop la vérité… »
9. Ce moyen d’expression, le mélange optique de petites touches colorées, posées méthodiquement les unes à côté des autres, ne permet guère l’adresse ni la virtuosité ; la main aura bien peu d’importance ; seuls le cerveau et l’œil du peintre auront un rôle à jouer. En ne se laissant pas tenter par les charmes du coup de pinceau, en choisissant une facture non brillante, mais consciencieuse et précise, les néo-impressionnistes ont tenu compte de cette objurgation d’Eugène Delacroix :
« La grande affaire, c’est d’éviter cette infernale commodité de la brosse.
Les jeunes gens ne sont entichés que de 1 adresse de la main. Il n’y a peut-être pas de plus grand empêchement à toute espèce de véritable progrès que cette manie universelle à laquelle nous avons tout sacrifié. »
Puis Delacroix revient encore sur les dangers d’une exécution trop facile :
« Le beau pinceau libre et fier de Van Loo ne mène qu’à des à-peu près : le style ne peut résulter que d’une grande recherche. »
Afin de défendre ces petites touches offusquantes à l’excès pour ceux qui, incapables de goûter le bénéfice harmonique du résultat, sont arrêtés par la nouveauté du moyen, citons ces lignes de Delacroix sur la touche. Tout ce qu’il dit de cette facture, dont il usait pour donner à la couleur plus de splendeur et d’éclat, peut s’appliquer au procédé employé, dans le même but, par les néo-impressionnistes :
« Il y a dans tous les arts des moyens d’exécution adoptés et convenus, et on n’est qu’un connaisseur imparfait, quand on ne sait pas lire dans ces indications de la pensée ; la preuve, c’est que le vulgaire préfère à tous les autres les tableaux les plus lisses et les moins touchés, et les préfère à cause de cela. »
« Que dirait-on des maîtres qui prononcent sèchement les contours, tout en s’abstenant de la touche ? »
« Il n’y a pas plus de contours qu’il n’y a de touches dans la nature. Il faut toujours en revenir aux moyens convenus dans chaque art, qui sont le langage de cet art. »
« Beaucoup de ces peintres qui évitent la touche avec le plus grand soin, sous prétexte qu’elle n’est pas dans la nature, exagèrent le contour qui ne s’y trouve pas davantage. »
« Beaucoup de maîtres ont évité de faire sentir la touche, pensant sans doute se rapprocher de la nature, qui effectivement n’en présente pas. La touche est un moyen comme un autre de contribuer à rendre la pensée dans la peinture. Sans doute une peinture peut être très belle sans montrer la touche, mais il est puéril de penser qu’on se rapproche de l’effet de la nature en ceci ; autant vaudrait-il faire sur son tableau de véritable reliefs colorés, sous prétexte que les corps sont saillants. »
Au recul commandé par les dimensions du tableau, la facture des néo-impressionnistes ne sera pas choquante : à cette distance, les touches disparaîtront et, seuls, seront perçus les bénéfices lumineux et harmoniques qu’elles procurent.
Peut-être cette note de Delacroix engagera-t-elle quelques-uns à prendre la peine de faire les pas nécessaires pour comprendre et juger un tableau divisé :
« Tout dépend, au reste, de la distance commandée pour regarder un tableau. À une certaine distance, la touche se fond dans l’ensemble, mais elle donne à la peinture un accent que le fondu des teintes ne peut produire. »
Delacroix essaye à plusieurs reprises de persuader ceux qui, n’aimant au fond que les tableaux bien ternes et bien lisses, sont déconcertés par toute peinture vibrante et colorée, et les prévient que :
« Le temps redonne à l’ouvrage, en effaçant les touches, aussi bien les premières que les dernières, son ensemble définitif. »
« Si l’on se prévaut de l’absence de touches de certains tableaux de grands maîtres, il ne faut pas oublier que le temps amortit la touche. »
10. Ne les dirait-on pas écrites par un adepte de la division, pour la défense de ses idées, toutes ces notes de Delacroix sur la couleur ? Et, sur combien d’autres points les néo-impressionnistes peuvent-ils encore en appeler au témoignage du maître !
Les notes répétées de celui dont ils s’efforcent de suivre les préceptes leur montrent trop clairement l’importance qu’il attachait au rôle de la ligne, pour qu’ils aient négligé d’assurer à l’harmonie de leurs couleurs le bénéfice d’un arrangement rythmique et d’un balancement mesuré :
« L’influence des lignes principales est immense dans une composition. »
« Un bon arrangement de lignes et de couleurs : autant dire arabesque. »
« En tout objet, la première chose à saisir pour le rendre avec le dessin, c’est le contraste des lignes principales. »
« Admirable balancement des lignes dans Raphaël. »
« Une ligne toute seule n’a pas de signification ; il en faut une seconde pour lui donner de l’expression. Grande loi : une note seule — musique… »
« La composition offre à peu près la disposition d’une croix de Saint-André… »
« Si, à une composition déjà intéressante par le sujet, vous ajoutez une disposition de lignes qui augmente l’impression… »
« La ligne droite n’est nulle part dans la nature. »
« Jamais de parallèles dans la nature, soit droites, soit courbes. »
« Il y a des lignes qui sont des monstres : la droite, la serpentine régulière et surtout deux parallèles. »
11. Sa composition linéaire une fois déterminée, le néo-impressionniste songera à la compléter par une combinaison de directions et de couleurs appropriées au sujet, à sa conception, dont les dominantes varieront selon qu’il veut exprimer la joie, le calme, la tristesse, ou les sensations intermédiaires.
Se préoccupant ainsi de l’effet moral des lignes et des couleurs, il ne fera que suivre une fois de plus l’enseignement de Delacroix.
Voici ce que le maître pensait de cet élément considérable de beauté, si négligé par tant de peintres d’aujourd’hui :
« Tout cela arrangé avec l’harmonie des lignes et de la couleur. »
« La couleur n’est rien si elle n’est pas convenable au sujet et si elle n’augmente pas l’effet du tableau par l’imagination. »
« Si, à une composition intéressante par le choix du sujet, vous ajoutez une disposition de lignes qui augmente l’impression, un clair-obscur saisissant pour l’imagination, une couleur adaptée aux caractères, c’est l’harmonie et ses combinaisons adaptées à un chant unique. »
« Une conception, devenue composition, a besoin de se mouvoir dans un milieu coloré qui lui soit particulier. Il y a évidemment un ton particulier attribué à une partie quelconque du tableau qui devient clef et qui gouverne les autres. Tout le monde sait que le jaune, l’orangé et le rouge inspirent et représentent des idées de joie, de richesse. »
« Je vois dans les peintres des prosateurs et des poètes. La rime les entrave, le tour indispensable aux vers et qui leur donne tant de vigueur est l’analogie de la symétrie cachée, du balancement, en même temps savant et inspiré, qui règle les rencontres ou l’écartement des lignes, les taches, les rappels de couleur… Seulement, il faut des organes plus actifs et une sensibilité plus grande pour distinguer la faute, la discordance, le faux rapport dans des lignes et des couleurs. »
12. Si les néo-impressionnistes s’efforcent d’exprimer les splendeurs de lumière et de couleur qu’offre la nature, et puisent à cette source de toute beauté les éléments de leurs œuvres, ils pensent que l’artiste doit choisir et disposer ces éléments, et qu’un tableau composé linéairement et chromatiquement sera d’une ordonnance supérieure à celle qu’offrira le hasard d’une copie directe de la nature.
Pour la défense de ce principe ils citeraient ces lignes de Delacroix :
« La nature n’est qu’un dictionnaire, on y cherche des mots… on y trouve les éléments qui composent une phrase ou un récit ; mais personne n’a jamais considéré le dictionnaire comme une composition dans le sens poétique du mot. »
« D’ailleurs la nature est loin d’être toujours intéressante au point de vue de l’effet de l’ensemble… Si chaque détail offre une perfection, la réunion de ces détails présente rarement un effet équivalent à celui qui résulte, dans l’ouvrage d’un grand artiste, de l’ensemble et de la composition. »
13. Un grand reproche qu’on leur fait, c’est d’être trop savants pour des artistes. Or, nous verrons qu’il s’agit tout simplement de quatre ou cinq préceptes énoncés par Chevreul et que devrait connaître tout élève des écoles primaires. Mais montrons, dès à présent, que Delacroix réclamait pour l’artiste le droit de n’être pas ignorant des lois de la couleur.
« L’art du coloriste tient évidemment par certains côtés aux mathématiques et à la musique.
De la nécessité pour l’artiste d’être savant. Comment cette science peut s’acquérir indépendamment de la pratique ordinaire. »
14. Il est curieux de noter que, même dans les plus petits détails de leur technique, les néo-impressionnistes mettent en pratique les conseils de Delacroix.
Ils ne peignent que sur des subjectiles d’une préparation blanche, dont la lumière traversera les touches de couleur en leur communiquant plus d’éclat et en même temps plus de fraîcheur.
Or, Delacroix note l’excellent résultat de ce procédé :
« Ce qui donne tant de finesse et d’éclat à la peinture sur papier blanc, c’est sans doute cette transparence qui tient à la nature essentiellement blanche du papier. Il est probable que les premiers Vénitiens peignaient sur des fonds très blancs. »
Les néo-impressionnistes ont répudié le cadre doré, dont le brillant criard modifie ou détruit l’accord du tableau. Ils usent généralement de cadres blancs, qui offrent un excellent passage entre la peinture et le fond, et qui exaltent la saturation des teintes sans en troubler l’harmonie.
Amusons-nous à signaler, en passant, qu’un tableau bordé d’un de ces cadres blancs, discrets et logiques, les seuls qui puissent, hormis le cadre contrasté, ne pas nuire à une peinture lumineuse et colorée, est d’emblée et sans examen, pour ce simple motif, exclu des Salons officiels ou pseudo-officiels.
Delacroix, en parfait harmoniste qui redoute d’introduire dans sa combinaison un élément étranger et peut-être discordant, pressentait les avantages du cadre blanc puisqu’il rêvait d’en orner ses décorations de Saint-Sulpice :
« Ils (les cadres) peuvent influer en bien ou en mal sur l’effet du tableau — l’or prodigué de nos jours — leur forme par rapport au caractère du tableau. »
« Un cadre doré d’un caractère peu assorti à celui du monument, prenant trop de place pour la peinture. »
« Faire à Saint-Sulpice des cadres de marbre blanc autour des tableaux… Si on pouvait faire des cadres en stuc blanc. »
15. Nous arrêterons là ces citations. Cependant, afin d’établir que nous n’avons point torturé les textes, nous reproduirons ces fragments des principaux critiques qui ont étudié Delacroix. Tous signalent sa constante préoccupation de s’assurer une technique savante et sûre, basée sur le contraste et le mélange optique, et reconnaissant la logique et l’excellence de cette méthode, en tant de points semblable à celle, si critiquée, de la division.
De Charles Baudelaire :
« C’est à cette préoccupation incessante qu’il faut attribuer ses recherches perpétuelles relatives à la couleur.
Cela ressemble à un bouquet de fleurs savamment assorties. » (L’Art Romantique.)
{{t| « Cette couleur est d’une science incomparable : la couleur, loin de perdre son originalité cruelle dans cette science nouvelle et plus complète, est toujours sanguinaire et terrible. Cette pondération du vert et du rouge plaît à notre âme.
« On trouve dans la couleur l’harmonie, la mélodie et le contrepoint. »(Curiosités esthétiques.) De Charles Blanc (Grammaire des arts du dessin) :
« La couleur, soumise à des règles sûres, se peut enseigner comme la musique… C’est pour avoir connu ces lois, pour les avoir étudiées à fond, après les avoir par intuition devinées, qu’Eugène Delacroix a été un des plus grands coloristes des temps modernes.
« La loi des complémentaires une fois connue, avec quelle sûreté va procéder le peintre, soit qu’il veuille pousser à l’éclat des couleurs, soit qu’il veuille tempérer son harmonie. Instruit de cette loi par l’intuition ou l’étude, Eugène Delacroix n’avait garde d’étendre sur sa toile un ton uniforme.
« La hardiesse qu’avait eue Delacroix de sabrer brutalement le torse nu de cette figure avec des hachures d’un vert décidé… »
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