Ethiopie 1935-1939 - Laurent Gaudé - Malaparte
Publié le 28 Septembre 2016
1935, les troupes italiennes envahissent l’Ethiopie au mépris des conventions internationales. A Maichev la défaite des troupes éthiopiennes se transforme en carnage, face aux mitrailleuses, aux canons, aux avions et au gaz le Négus ne peut rien. Laurent Gaudé livre dans Ecoutez nos défaites une description poignante de cet affrontement.
1939, la pacification de l’Ethiopie se poursuit, Malaparte se rend sur place et décrit avec complaisance les progrès de « l’œuvre de civilisation » de l’armée italienne en ces terres lointaines.
« Dans la plaine de Maichew, les italiens se sont réveillés. En réponse aux premiers tirs, les premiers obus tombent et les premiers guerriers d’Hailé Sélassié meurent. Les italiens n’ont aucune raison de paniquer. Ils ont construit un mur de pierre sèche pour protéger leur ligne et ils laissent les Ethiopiens s’approcher. Le jour se lève doucement. La plaine sera bientôt couverte de sang. Les obus tombent avec régularité. C’est ainsi qu’ils vont les tuer, en les disloquant, les éparpillant en milles morceaux. La victoire triomphale des guerriers éthiopiens d’Adoua ne se rejouera pas. L’Italie veut sa vengeance. C’est même cela qu’elle est venue chercher. Et ils vont l’obtenir. Lui, Hailé Sélassié, qu’elle sera sa place dans l’histoire ? Celle d’un empereur vaincu ? Le roi des rois tué par un tir d’obus ? Les combats sont engagés et le jour entier, désormais, ne sera plus consacré qu’à se tuer. Avancer. Crier pour se donner du courage et gémir lorsque la balle vous à traversé. Oh, comme la défaite est longue … Il faut la vivre totalement, jusqu’au bout, avec ces instant où l’on se prend à y croire encore, ces appels à l’aide auxquels on ne peut pas réponde, ces amis qui meurent, ces trouées superbes – le soleil parfois, la beauté des lieux … Comme c’est long … L’odeur de la poudre et du sang est partout. Et puis, le jour finit par décliner doucement, après treize heures de combat durant lesquelles les Ethiopiens se ruent, torse nu parfois, sur les mitrailleuses lourdes. Soixante-quinze tonnes d’explosifs les disloquent sans répit. L’Italie ne compte pas. Le Duce a été parfaitement clair : il veut une victoire éclatante et rapide. Après treize heures de combat, il l’a. Et le Négus ordonne le repli. Mais c’est alors que le pire survient. Car la défaite a soif encore. Les italiens sortent de leur ligne et pourchassent l’ennemi. Hailé Sélassié voit la vague brutale qui court derrière ses hommes. Les avions survolent le champ de bataille et criblent de balles les fuyards. Le gaz brûle ceux qui voudraient courir. Tout explose et se tord. Ce n’est plus un repli, plus une débâcle, c’est un massacre. Ils sont anéantis. Et cela continue. « Nous ne pouvons rien faire », pense-t-il. Ses hommes, il les offre au carnage… »
Laurent Gaudé, Ecoutez nos défaites, Actes Sud, 2016.
« En 1939, les Romagnols partent non plus pour les marais Pontins, mais pour l'Ethiopie. Quatre ans après la conquête du royaume du négus, le régime fasciste se lance dans sa "pacification". La presse, au service de la propagande, est conviée à chanter les louanges du nouvel empire. Tous les talents sont bienvenus, celui d'un débutant, Dino Buzzati, comme celui d'un journaliste aguerri, Curzio Malaparte. Celui-ci se fait d'autant moins prier pour exalter l'"oeuvre civilisatrice" dans les colonnes du Corriere della Sera qu'il est décidé à revenir dans le jeu après un séjour en résidence forcée ("confino") sur l'île de Lipari. Il part en reportage quatre mois, à dos de mulet ou motorisé, seul ou en compagnie de troupes coloniales, essuyant parfois les coups de feu des rebelles.
Il en rapporte des articles sans ambiguïté : "L'Afrique n'est pas noire", "Des villes de l'Empire blanc", "Les Dolomites éthiopiennes"... Le propos est limpide. Les Italiens, peuple formidable pour qui "il n'existe rien au monde d'inconnu, de mystérieux et de monstrueux", sont ici "chez eux". Y compris, bien sûr, ces chers Romagnols, qu'on reconnaît au premier coup d'oeil, car "ils ont tous des mâchoires fortes, faites pour mâcher des mots amples, virils et sonores". Les coteaux où ils ont installé leurs baraques sont, bien sûr, la copie de ceux de "l'Appenin toscano-romagnol vus de Cesena, Forli, Rimini". La terre est identique à celle qu'ils ont quittée, "grasse et noire, à piocher sans retenue". Quant au "blé indigène", il est parfait, puisque, dur et semi-dur, "il convient aussi aux pâtes alimentaires". Etc. Soudain, l'écrivain s'éveille et accouche d'une scène lyrique, d'un rapprochement baroque, délaissant le propagandiste. Bref, Curzio fait du Malaparte al dente, cocktail de mauvaise foi et de sensibilité blessée, d'expressionnisme pompier et de fulgurances. »
Express 2012
« Je me tourne et, sur les vastes étendues de chaumes qui descendent doucement vers Debré Birhan, j’aperçois la colonne d’arrière-garde, précédée par l’armée immense de convois de ravitaillement, sorte d’armée de Xerxès. Le brouhaha confus des ascari, leurs chants de guerre mêlés aux hennissements et aux braiments nous arrivent, distincts et fragiles dans l’air de verre, que le soleil déjà haut dissout peu à peu. Une lente tiédeur se répand sur les hauts plateaux qui tout à l’heure brillaient de froid. A nos côtés, les flanqueurs glissent le long des ravins. On dirait que nous marchons dans le vide, flottant dans l’air. A notre droite les hommes se découpent sur le ciel oriental, tout ruisselant de lumière, à notre gauche, ils se projettent, souples, sur les montagnes lointaines de Selalé, bleues dans l’atmosphère verte … »
« Le bataillon des ascari n’est pas seulement un instrument de guerre. C’est aussi une école, un lieu d’entrainement physique et moral, un instrument de paix et de civilisation. Les ascari y apprennent la langue italienne, s’affinent au contact de nos officiers, à l’école de leur exemple, ils se transforment, lentement et profondément, pour s’adapter au moule d’une discipline fondée sur le sens du devoir et de l’honneur. (De ce point de vue, notre règlement militaire pour les troupes indigènes est un véritable chez d’œuvre, un modèle du genre.) Pour les enfants éthiopiens, le bataillon des ascari est un excellent instrument de préparation prémilitaire. En effet, si la limite d’âge d’enrôlement est fixée à 15 ans, il est toutefois permis aux ascari d’avoir des gourba, c'est-à-dire de petits assistants, des enfants qui suivent les bataillons en « jouant à la guerre », et qui, en même temps, s’instruisent, apprennent notre langue, notre règlement de discipline ; de vrais petits soldats qui un jour seront ascari, auront un fusil, une cartouchière, une écharpe, se battront pour nous « pour le gouvernement italien puissant et glorieux ». Un jour, quand ils auront 15ans. Et les enfants de 10, de 12 ans patientent, attendant avec anxiété le passage de quelques bataillons pour s’y intégrer, pour suivre les fanions des boulouks, les petits mulets piaffants des officiers, les barbiches taillées en pointes des choumbachis. »
Curzio Malaparte, Voyage en Ethiopie, 1939.
Ascari : soldats indigènes au sein de l’armée italienne
Boulouks : grade des troupes coloniales italiennes, équivalent à celui de sergent.
Choumbachis : grade des troupes coloniales italiennes, équivalent à celui de maréchal des logis.
Depardon (Né en 1942) est l'une des figures majeures de la photographie européenne. Co-fondateur de l'agence Gamma en 1966 il participe à la mise en place de structures assurant aux photographes...
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