Perséphone
Publié le 1 Mars 2020
" Déméter et sa fille Coré-Perséphone apparaissent, tout au moins à l'époque classique, sous la forme d'un couple indissolublement uni. Les expressions mêmes qui servent à désigner les a deux déesses sont un signe de cette unité mythologique. Les lieux de culte sont les mêmes; les épithètes et les attributs s'échangent; les fonctions divines de l'une sont aussi celles de l'autre; dans l'art enfin elles apparaissent souvent réunies, et il arrive que leurs types soient semblables au point qu'il n'est pas toujours facile d'établir entre les deux représentations une distinction bien sûre et bien nette. C'est ce qui explique que les mythologues, même les plus récents, n'aient pas songé à faire de Coré-Perséphone une étude particulière et indépendante, et qu'ils aient toujours exposé sous une même rubrique l'état de nos connaissances sur les deux grandes divinités éleusiniennes. II est impossible de traiter du caractère et du culte de Déméter sans traiter du même coup de la plupart des questions que soulève l'étude de Coré-Perséphone...
Quel a été le caractère primitif de la déesse, et de quelle manière a-t-il évolué jusqu'au temps où s'est constituée la mythologie classique? La question est peu traitée et encore mal éclaircie. Pour les mythographes , Perséphone est essentiellement la fille de Déméter. Elle l'a toujours été, et ils ne conçoivent guère d'époque où cette association de la mère et de la fille n'ait pas existé, où Perséphone ait eu une existence distincte de celle de la vieille divinité achéenne, mais d'autre part Coré, sous le nom de Perséphone, est l'épouse d'Hadès et la reine des enfers. Le mythe du rapt, d'après lequel Hadès aurait ravi la jeune vierge, l'aurait emmenée à ses côtés dans le royaume des ombres, d'où sa mère n'aurait pu la reconquérir que pour une partie de l'année seulement, explique la coexistence en Perséphone de ces deux personnalités distinctes. Et tout devient clair si l'on voit en Coré la personnification de la végétation, fille de la Terre, qui, toute une partie de l'année, recouvre le sol de sa luxuriante parure, et, toute une autre, disparaît dans ses profondeurs. Mais dans cette conception commune du caractère et du rôle de Perséphone le mythe du sol apparaît comme une invention toute factice destinée à raccorder entre elles deux conceptions très différentes d'une même personne divine. Or ce mythe, au contraire occupe une place si éminente dans l'histoire de Perséphone et contient tant de traits d'une haute antiquité qu'il doit tenir étroitement à la nature même de la divinité qui y joue le premier rôle, et l'expliquer en partie. D'autre part, le fait que résident en Perséphone deux personnalités distinctes est constaté, mais non du tout expliqué.
A coup sûr l'association de Déméter et de Coré remonte à une haute antiquité... Mais le texte des poèmes homériques, comme l'ont remarqué Rohde et Bloch, montre qu'on ne saurait concevoir Perséphone comme ayant été de tout temps à la fois fille de Déméter et épouse d'Hadès, et, dans le deux cas, symbole de la vie végétative. L'indissolubilité du couple Déméter et Coré-Perséphone, que l'on constate à l'époque classique et même auparavant, ne semble pas avoir existé aux temps les plus anciens de la religion grecque. S'il est facile de s'y méprendre, c'est que l'époque où les documents, textes littéraires et monuments figurés, commencent à se multiplier sur la religion grecque, est précisément celle où le culte d'Éleusis devient, de local, attique et panhellénique , et où la forme qu'y prennent Déméter et Coré-Perséphone rejette dans l'ombre tout le passé des deux divinités. Mais dans les poèmes homériques ni Déméter et Perséphone n'ont de rapports entre elles, ni Perséphone n'a le caractère d'une divinité agraire ; elle est uniquement déesse infernale et reine des ombres. Tous les passages de ces poèmes où Perséphone est mentionnée la définissent ainsi " : c'est la terrible souveraine, du royaume souterrain. L'un des deux passages où elle est donnée comme fille de Déméter est une interpolation tardive; l'autre fait partie de la Nekyia de l'Odyssée", apport également récent. Même à une époque très postérieure, il subsiste encore dans la tradition un souvenir d'une Perséphone fille d'une autre que Déméter; chez Apollodore", Perséphone est fille de Zeus et du Styx. Il y a plus. Là même où le couple divin de la mère et de la fille semble le plus indissoluble, à Éleusis, il semble qu'il n'ait pas existé de toute antiquité."
Extrait du Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio, 1877-1910